Beautés d'Égypte
Celles que les ans ne peuvent moissonner
Comme le fait remarquer un des auteurs du catalogue de l'exposition, "la beauté est un concept qui nous est tellement familier qu'on lui prête sans malice une valeur universelle et atemporelle. Un regard superficiel jeté sur la documentation égyptienne ne peut que nous encourager à aller dans ce sens.
On découvre en effet sans peine des expressions qui semblent impliquer au premier abord que les Egyptiens avaient du beau une idée somme toute très proche de la nôtre. Passé cette première impression, un examen plus attentif fait apparaître des faits sous un éclairage bien différent...".
Quoi qu'il en soit, les objets exposés améneront le visiteur tantôt à une expérience sensuelle de la beauté égyptienne, tantôt à une approche plus intellectuelle de l'essence même de celle-ci. Cent quarante-quatre œuvres de très haute qualité illustrent les différents thèmes abordés, des œuvres dont près de la moitié n'a jamais été exposé précédemment, leur choix étant fonction, bien sûr, du plaisir que donne le beau (ou la belle !).
Quelques piéces d'une pureté de forme absolument extraordinaire accueillent le visiteur qui ne manquera pas de s'interroger sur "l'éternité" de l'art égyptien, ou sa "modernité". L'exposition le conduira à aborder ses aspects conceptuels et fonctionnels, puisque ce qui est beau en Egypte est également achevé. Il s'agira donc aussi d'aborder la question des "canons" de l'art égyptien, qui évoluent d'ailleurs dans le temps, canons dont les grilles de proportions lisibles sur certaines œuvres sont les témoins. Les artistes ne les respectent pas toujours, certains affirmant leur individualité, voire leur créativité de cette maniére.
La beauté des dieux, bien entendu, ne fait aucun doute. Ainsi les atours d'Hathor, la fille de Rê, sont évoqués, parfois langoureusement, dans la poésie égyptienne. Il est vrai qu'elle avait par l'érotisme de sa présence, donné au Créateur lui-même l'envie... de créer. Mais le visiteur sera confronté aussi aux paradoxes de l'art égyptien, en apprenant que cette jeune femme aux cheveux de lapis, pouvait aussi être représentée sous forme d'un hérisson. "Tu te lèves beau dans l'horizon du ciel, Soleil vivant, qui vis depuis l'origine" chantait Akhenaton dans son hymne célèbre au disque solaire : cette beauté c'est aussi, comme on le verra à l'exposition, celle du Soleil-enfant naissant du lotus, au premier matin du monde.
La beauté des rois, des reines, ne peut être mise en doute non plus, puisqu'ils participent de la chair divine. Leur image sans âge contribue largement au sentiment d'a-temporalité de l'art égyptien. Autant Aménophis II que Ramsès II et Nefertari figurent dans l'exposition, alors qu'une belle statue de reine d'époque ptolémaïque rendra présente celle qui passe pour la plus belle de toutes : "Cléopâtre, d'Antoine et de César réfléchissant la gloire".
Mais c'est sans doute les jeunes Égyptiennes qui attireront la majorité des visiteurs à Treignes, les consœurs de "l'unique amante, sans seconde, plus belle que toutes les femmes" vantée par la poésie du temps de Ramsès. "Ah que ne suis-je sa servante, qui ne la quitte pas d'un pas", fantasmait un prétendant de l'époque, "Alors je contemplerais la couleur de tout son corps". Les outils de la parure seront exposés, et les artifices de la beauté évoqués. Mieux, la petite servante, nue, sera présente, sous la forme d'une des œuvres les plus charmantes de l'art égyptien. Les cercopithèques qui l'accompagnent, quant à eux, nous aident à décrypter les codes érotiques, très particuliers, d'un art qui ne semble pas avoir connu la grossièreté.
La laideur n'en est pas absente, pourtant, mais elle est utile. Bès est nain, et vilain, parce qu'il doit chasser le démon ; l'étranger sous les pieds de Pharaon est laid, dans une certaine mesure, parce qu'il en est un. Bien plus étranges sont deux statuettes de bossu, l'une du Rijksmuseum van Oudheden de Leyde, l'autre du Musée du Cinquantenaire de Bruxelles, jamais exposées auparavant. La déformité passe parfois pour un signe du divin, et peut même être obtenue artificiellement par la mutilation. Le crâne allongé des princesses de la cour amarnienne en constitue sans doute l'exemple égyptien le plus connu, mais peut-être n'a-t-il de réalité que dans les images ?
La "révolution" amarnienne fait l'objet d'une étude particulière, ne fut-ce que parce que les manipulations de l'image d'Akhenaton, Nefertiti et leurs enfants peuvent laisser perplexe. Quelle vie, quelle santé, quelle force, cependant, dans certaines pièces exposées bientôt au Musée du Malgré-Tout. Toute la puissance génératrice des Vénus paléolithiques y est, mais aussi toute la poésie contenue de l'Orphée pharaonique : "Les êtres de la terre se forment sous ta main comme tu les as voulus. Tu resplendis et ils vivent ; tu te couches et ils meurent".
L'exposition se clôture sur la beauté de l'au-delà, ou la beauté de l'idéal, où le visiteur apprendra que ce qui est accompli, achevé est forcément bon, donc beau. Alors comment ce fait-il donc que la plupart de nos contemporains jugent qu'une momie est laide ?
Une partie des pièces présentées n'avait jamais été montrée auparavant au public. La totalité de ce matériel est illustrée dans un catalogue de 174 pages, rédigé sous la direction d'Eugène Warmenbol par Marie-Cécile Bruwier, Luc Delvaux, Florence Doyen, Jean-Marcel Humbert, Dimitri Laboury, Anne Lebrun-Nélis, Lise Manniche, René Preys, Roland Tefnin, Marie-Paule Vanlathem, Eugène Warmenbol et Jean Winand.
L'exposition "Beautés d'Egypte" a été organisée avec le soutien de la Région Wallonne, de la Communauté française de Belgique, et l'aide de la S.A. Léon Eeckman, assureurs-conseils, de l'imprimerie IDENTIC, du Journal LE SOIR, d'Affiches-Diffusion, de la Fondation Chimay-Wartoise, des Bières de Chimay, de la Province de Namur, de la Société GLASS et d'Egyptologica asbl.